24 novembre 2006

De la conception, de la valeur et de l’utilisation des sondages


Notre débat du
20 novembre 2006 autour
de Charles-Henri GROS

Les français sont-ils les plus gros consommateurs au monde de chiromancie et autres séances de voyance ?
Même sans pouvoir disposer de données chiffrées en la matière, on pourrait juger par le nombre de publicités qui font la promotion de ce type de services et jusqu’à vous rappeler les liens évoqués alors entre le Président Mitterrand et une célèbre voyante…Les français ont la réputation d’être les plus sondés de tous !
Aurions-nous en effet un goût positivement plus prononcé que les autres peuples à vouloir connaître l’avenir ?
Sans doute oui, et cela va croissant.Pour ne parler que des sondages d’opinion liés à la sphère politique et publiés dans la presse, on comptait dans les années 80, une moyenne de 521 études d’opinion par an, contre 874 au début des années 2000. Soit près de 17 sondages « politiques » publiés chaque semaine !
Actuellement, les sondages sont présents dans tous les médias, et dissèquent la moindre habitude de chacun d’entre nous. La technique est la même pour tous les sujets.
Ainsi, le sondage est un outil –désormais commun- qui permet de pénétrer…à la fois l’alcôve…et l’isoloir !

Ce que sont les sondages.
A l’article ‘sondage’, le dictionnaire Larousse évoque deux sujets :
« une procédure d’enquête sur certaines caractéristiques d’une population, à partir d’observations sur un échantillon limité, considéré comme représentatif de cette population »
« faire un sondage c’est prélever un échantillon à des fins d’analyse »
La technique du sondage repose sur un fondement mathématique : la théorie des probabilités qui permet de trouver la taille que doit avoir un échantillon pour être représentatif. Là, il convient de retenir que la représentativité d’un échantillon est fonction de sa propre taille (et non de la taille de la population à étudier) et que la représentativité est la propriété de l’ensemble de l’échantillon et non pas des individus qui le composent.

Un peu d’histoire…
On peut trouver la première tentative de sondage à grande échelle en France en 1745. Une initiative de l’administration de Louis XV qui avait fait courir le bruit de la levée d’une future milice de deux hommes dans chaque paroisse.
En lui-même, le fait de propager une rumeur n’est pas un fait remarquable, mais, pour l’époque, ce qui est novateur c’est la consigne faite aux intendants des provinces de recueillir ce qu’en diraient les habitants.La consignation ainsi faite des réactions, enregistrées par des observateurs à travers le pays, est alors inédite et s’apparente à une tentative de sondage de l’opinion.
La pratique des sondages d’opinion est essentiellement originaire des Etats Unis d’Amérique où ont été mis en place dés le début du XIX° siècle des « straw votes », « votes de paille » (le nom est éloquent !). Des journaux interrogeaient leurs lecteurs sur des simulations électorales. Encore une fois, comme pour la démarche du Roi Soleil, on retrouve la volonté de connaître l’opinion du peuple ; mais ces « votes de paille » étaient ceux des seules personnes qui avaient lu le journal et qui daignaient renvoyer le questionnaire…Cette méthode manquait donc d’un élément indispensable pour être valable : un fondement scientifique.
L’évènement qui « consacra » la méthode du sondage avec un échantillon représentatif fut les élections présidentielles américaines de 1936. Ces élections constituèrent une occasion d’affronter les différentes méthodes d’anticipation électorale. A cette occasion, la revue « Literary Digest » avait interrogé plus de 2 millions de personnes choisies au hasard dans l’annuaire téléphonique. Les résultats de cette démarche donnaient LADON vainqueur sur ROOSEVELT. Au même moment, l’institut GALLUP, travaillant seulement sur quelques milliers de personnes (mais en s’attachant à une représentativité du groupe sélectionné par rapport à la structure socioprofessionnelle des électeurs), annonçait la victoire de ROOSEVELT ! Même si les pourcentages d’intention de vote annoncées étaient relativement éloignés du résultat du vote, c’est bien ROOSSEVELT qui fut élu, mettant ainsi en lumière la méthode des sondages sur un échantillon représentatif.
Il faudra attendre un autre « évènement » français pour donner du crédit aux sondages. En 1965, lors des premières élections au suffrage universel direct, le Général de Gaulle est mis en ballottage avec 43,9 % des voix, alors que tout le monde le donnait vainqueur dés le premier tour… Seul France Soir, se basant sur un sondage de l’Institut Français d’Opinion (IFOP, créé en 1938), anticipe ce semi échec du Général en prédisant entre 43 et 45 % d’estimation de votes. C’est ainsi que le sondage de prédiction de votes trouva le fondement de sa légitimité en France.
Notons au passage, que les élections sont devenues un sujet de sondage privilégié puisque la réalisation du vote lors des élections réelles permet de vérifier les résultats précédemment estimés par sondage.

Des effets des sondages…
Régulièrement, on reproche aux sondages, de fausser le jeu démocratique, d’influencer le choix des électeurs, de manipuler l’opinion. Trois effets sont observables : « l’effet Bandwagon », qui incite les électeurs à rallier le présumé vainqueur, « l’effet Underdog », qui conduit l’électeur à secourir le candidat annoncé perdant, et un effet sur l’abstention, pour les électeurs découragés et qui ne ressentent plus l’utilité de leur vote.

Les sondages en accusation
Les sondages sont accusés de modifier les règles du jeu politique. L’utilisation du sondage peut permettre à une majorité silencieuse de devenir influente.

Les sondages et le trio « politique presse opinion » :
Les sondages sont fréquemment utilisés par les journalistes politiques pour commenter la vie politique. L’utilisation des sondages par les médias devient incontournable, qui plus est dans un contexte d’élection. Pourquoi ?
Il y a alliance objective entre les sondeurs et les journalistes :
Les sondeurs ont encore besoin de la presse pour imposer les sondages
Les médias, et en particulier la presse écrite, ont eu un rôle essentiel dans l’introduction des sondages en France (ce sont eux qui ont permis d’enclencher « la croyance » dans la validité et la scientificité des sondages). Ils constituent une véritable vitrine des instituts de sondages, et les sondeurs sont encore dépendants de la presse pour maintenir cette croyance dans les sondages et confirmer leur place dans le champ médiatique, politique et économique.
Pourtant, il arrive que les journalistes prennent en défaut les sondages, à l’occasion des élections :
Les élections sont un rituel de la remise en cause de la fiabilité des sondages par les journalistes. Eux qui utilisent abondamment les sondages pour commenter les résultats des élections ou pour anticiper et livrer de savantes analyses sur les évolutions et les déterminants du vote, semblent prendre un réel plaisir à critiquer la fiabilité des sondages électoraux. Notons, avec amusement, que cette critique rituelle des sondages électoraux débute par celle des sondages électoraux débute par celle des erreurs des sondages publiés (par la presse !) dans la prévision des résultats du vote.
Mais les critiques des sondages ne vont jamais vraiment plus loin, et les médias laissent un large droit de réponse aux sondeurs pour répondre aux accusations…des journalistes ! Pourquoi un tel empressement à permettre aux sondeurs de défendre leur production ? Parce que les médias sont justement très friands de sondages, et que les instituts de sondages sont des partenaires de la presse à part entière (les sondages sont souvent commandés par le média, et les responsables des instituts sont invités à commenter eux-mêmes les résultats des sondages que le média leur à commandé)
Sans sondages, les journalistes ne pourraient plus exercer leurs talents de commentateurs de chiffres, et ils ne pourraient plus non plus se poser en serviteurs de la démocratie, éclairant le choix de leurs lecteurs par l’information sur l’état de l’opinion.
La presse écrite constitue en effet le support de prédilection des sondages car elle dispose de la place nécessaire pour publier des tableaux, des graphiques et les analyses qui les mettent en valeur…contrairement à la télévision qui ne dispose que de peu d’images pour attirer l’auditeur, la presse écrite peut attirer le lecteur avec des titres choc basés sur les sondages. Les médias audiovisuels jouent avec un atout majeur par rapport à la presse écrite : la rapidité. L’utilisation des sondages est en effet quasi systématique lors de soirées électorales, pour des émissions de débat (type « 100 minutes pour convaincre »)
Les journalistes grâce aux sondages peuvent dénicher le scoop qui augmentera le tirage sans sortir de leur bureau…N’oublions pas non plus, la reconnaissance professionnelle qu’ils pourront en tirer…
Certains sondages peuvent aussi avoir un retentissement suffisant pour influencer le débat politique au moment de leur publication. Dans ces circonstances, le volume des retombées médiatiques dont bénéficie « le support » qui a pris l’initiative de publier ce sondage est très rentable. En terme d’impact, le rapport entre ce que coûte une enquête réussie et les reprises qu’elle suscite par les autres médias, constitue évidemment une très bonne opération !
Mais outre ces profits immédiats et proprement économiques, l’intérêt des sondages politiques réside dans le fait qu’ils donnent à la presse un pouvoir symbolique spécifique sur le jeu politique.

Le rapport de force entre journalistes et politiques :
Avec l’accroissement de la concurrence entre les médias, les journalistes s’efforcent de faire admettre leur autorité. Cela se traduit par exemple par le fait qu’un homme politique ne peut plus s’inviter à une émission. Il doit être choisi par le responsable de l’émission, en fonction de l’audience qu’il est réputé faire et selon une règle du jeu qui lui est imposée. Dans ce processus d’émancipation, les sondages constituent une arme symbolique très forte, un instrument de légitimation des journalistes face aux hommes politiques jusque-là seuls à avoir une certaine légitimité…celle de l’élection.
Toutes les conditions sont réunies pour que les journalistes et les politiques s’engagent dans un rapport de collaboration conflictuelle :
Invité pour sa fonction de porte-parole ou d’élu, le politique croit tenir de ses mandats le droit de se faire entendre…pour démontrer sa préoccupation de répondre à ses électeurs.
Le journaliste lui, attend des réponses à ses questions car elles sont censées intéresser le public.
Aux affirmations des politiques, les journalistes peuvent désormais opposer les chiffres des sondages qui sont censé leur livrer la « volonté populaire » mesurée par des instituts (neutres et scientifiques) qui s’impose aussi bien aux uns qu’aux autres.
Ainsi les journalistes peuvent aussi imposer les problèmes dont il faut parler. La pratique du sondage participe bien à la redéfinition du travail des hommes politiques et des journalistes.
Les journalistes se donnent comme mission de faire parler le peuple, l’idée étant de lutter contre la dépossession de la parole du peuple par les hommes politiques, les représentants. Les sondages sont souvent présentés par les sondeurs comme le moyen de faire parler l’opinion, sans intermédiaire, directement. Le journaliste est appuyé dans sa mission civique et démocratique par un instrument scientifique qui est censé garantir que contrairement aux hommes politiques, soupçonnés de se rendre coupables de déformation de la volonté populaire, lui ne fera que rendre compte de l’opinion publique.

De l’influence des sondages sur les choix politiques et les choix électoraux :
Les hommes politiques ont intégré, dans la prise de décision, les indications que les sondages d’opinion, à tort ou à raison, leur fournissent comme indications sur ce qui est censé être « l’état de l’opinion ».
Les sondages : boussole pour les acteurs politiquesLes principaux conflits politiques sont institutionnalisés et canalisés à travers les relations entre la majorité et l’opposition. L’influence croissante de l’opinion publique à travers les sondages d’opinion a modifié la gestion de ces conflits.
Les sondages ont également transformé la relation majorité opposition. Lorsque le débat politique se déroule sur un enjeu précis, les sondages expriment la tendance majoritaire de l’opinion sur cet enjeu. L’opposition peut alors se prévaloir de cette tendance, si elle lui paraît favorable, pour tenter de contraindre la majorité, et d’abord son chef, à consulter directement l’opinion par référendum (ex : ratification en 1992 du traité de l’Union Européenne).Plus généralement, les sondages expriment l’opinion de la majorité des citoyens, ce qui exerce une contrainte sur les gouvernants que l’opposition peut exploiter.
Il ne fait aucun doute que la publication d’enquêtes d’opinion contribue à déposséder les acteurs de l’action publique d’une partie de leurs prérogatives. La publication des sondages, et notamment des cotes de popularité des gouvernants, influe sur la capacité des leaders politiques à maîtriser l’agenda politique notamment dans les rapports entre majorité et opposition.

Les différents types de sondages :
Trois catégories de sondages d’opinion se différencient en fonction du type d’information qu’elles apportent (les enquêtes isolées, les enquêtes régulières dites ‘baromètre’, les entretiens non directifs)

Une arme au service des politiques :
Les médias ont joué un rôle déterminant dans l’évolution de la communication politique contemporaine. Les hommes politiques ont été amenés à mettre au point des stratégies de communication pour convaincre leur auditoire –le marketing politique. Il a crée le besoin de connaître les goûts et les aspirations de la population afin de pouvoir y répondre de manière la plus précise possible. L’instrument principal du marketing politique est le sondage ! Il est utilisé pour, concevoir et contrôler les stratégies de communication, connaître son niveau de notoriété, discerner les éléments de son image sur lesquels il devra travailler.

Les sondages sont évidemment prisés des hommes politiques, on a vu pourquoi. Ils le sont aussi des hommes de médias qui trouvent ainsi une information facile à obtenir et à commenter… Les uns et les autres sont également responsables du nombre de sondages qui sont réalisés en France –supérieur à tous les pays – et des interprétations auxquelles leurs résultats donnent lieu.
Les sondages ne méritent ni un excès d’honneur, ni un excès d’indignité, encore faudrait-il que nos sondeurs médiatiques gardent quelque modestie, nos hommes politiques le sens de l’intérêt général et que les électeurs votent tout bonnement pour le candidat qui leur paraît le plus souhaitable pour le pays !

Charles-Henri GROS dirige une agence conseil en communication institutionnelle qu’il a créée en 1999.
Il intervient pour une clientèle essentiellement constituée d’entreprises privées et publiques ainsi que pour des élus, des collectivités et des administrations centrales.

Après une formation généraliste en Grande Bretagne, il fait du marketing au sein du groupe Hersant à partir de 1987. Deux ans plus tard, il devient consultant indépendant, puis rejoint en 1992, une agence conseil (Européenne de conseil en communication)
Il vit à Paris, Marié, et père de cinq enfants.