26 janvier 2007

Le logement : enjeux économique et social


Notre débat du 15 janvier 2007 autour d’Henry BUZY-CAZAUX, vice-président de TAGERIM

Le logement vient d’entrer par la grande porte dans le champ de la réflexion politique, alors qu’il était assimilé il y a encore quelques années à une question de second ordre, appendice de la question sociale ou faisant partie de la large thématique des affaires économiques. En clair, le logement n’avait aucune autonomie et n’était jamais traité de manière spécifique. Ses enjeux propres n’étaient pas identifiés.

Un indice majeur de ce statut dévalorisé consiste dans le faible nombre de parlementaires capables de parler du logement avec compétence. Pour ainsi dire, c’est seulement sous l’angle du logement HLM que le sujet était abordé, les élus ayant pour beaucoup des responsabilités au sein des organismes HLM locaux, notamment des offices municipaux.

Pour deux raisons au moins, ce statut a récemment changé :

  • Le sentiment que le pays connaît une crise du logement, c’est-à-dire la perception d’une très forte insatisfaction de la part du public en matière de logement.
  • La honte, toujours plus visible, des sans abris et des mal logés, qui a conduit à la génération spontanée d’une association les Enfants de Don Quichotte. Cette association, inscrit son action dans la continuité d’Emmaüs, de la Fondation Abbé Pierre et d’ATD Quart Monde. Elle a su plus efficacement que ses prédécesseurs mobilisaient les médias et réveillaient la conscience politique.
  • Pourtant, sans même qu’il ait été besoin d’attendre ces deux événements,les décideurs auraient eu toutes les raisons de mesurer l’importance primordiale du secteur du logement … Quelques indicateurs lourds en apportent la preuve en décrivant les enjeux attachés au logement :
    ->o La dépense nationale en logement atteint 21% du PIB avec 320 milliards d’euros répartis en dépense courante à hauteur de 225 milliards d’euros (soit près de 20% des revenus disponibles du ménage) et en dépenses en capital à hauteur de 95 milliards d’euros (équivalents à 50% de l’épargne des ménages).
    ->o Les aides au logement atteignent près de 20 milliards d’euros, soit15 milliards d’aides à la personne (près de 4% des prestations sociales du pays) et 5 milliards d’aides à la pierre (soit 11% des aides et subventions distribuées par les pouvoirs publics).
    ->o La filière logement emploie 500 000 salariés dans les métiers du bâtiment et de la construction pour un chiffre d’affaires global de 60 milliards d’euros. 45% de ces effectifs et de ce chiffre d’affaires proviennent du logement neuf, tandis que 55% concernent l’entretien et la réhabilitation des logements existants. Le logement représente 60% de la production du bâtiment, les 40% restants provenant des bureaux et des locaux d’activité ou encore des ouvrages publics.
    ->o Le logement est générateur de 200 000 emplois dans les activités de service, c’est-à-dire dans les métiers de la gestion et de la transaction immobilières pour un chiffre d’affaires global de 55 milliards d’euros.
    ->o Chaque logement construit crée ou maintient deux emplois.
    ->o Au-delà des données quantitatives, le logement apparaît aujourd’hui comme le deuxième marqueur social fondamental après l’emploi, tout à la fois cause et conséquence de l’intégration sociale des individus et des ménages.

Il est nécessaire aujourd’hui, avec en tête la gravité des enjeux portés par le logement, de dépasser la mode intellectuelle et politique, la psychose du moment et les peurs circonstancielles pour poser les questions fondamentales et identifier les problématiques de la France quant au logement.

Les problématiques qui se détachent :

NE PAS BRULER LES IDOLES

L’exigence actuelle vis-à-vis du logement dans notre pays ne doit pas faire oublier le chemin parcouru depuis la reconstruction. La tendance est à la critique systématique de ce qui s’est fait depuis 50 ou 60 ans au mépris des avancées les plus évidentes.

  • La France a la fierté d’avoir un parc de logement locatif social de première importance (5 millions de logements) à côté d’un parc locatif privé très significatif (6,5 millions de logements). Le pays a su en particulier bâtir un système de financement puissant et des circuits efficaces, notamment grâce au Livret A et à la Caisse des Dépôts et Consignations, même si ce système atteint aujourd’hui ses limites et si le recours aux ressources de marché paraît plus moderne et plus réaliste.
  • Par ailleurs, la France offre une authentique alternative entre le locatif et l’accession à la propriété, avec en particulier un concept d’accession sociale bien ancré dans la politique du logement.
  • La France a considérablement amélioré l’état de son patrimoine de logement : alors que l’occupation moyenne d’un logement était de 3,10 personnes en 1946, elle était de 2,3 personnes seulement en 2004.
  • 22% du parc français de logements seulement n’a pas les trois éléments de confort minimum que sont le chauffage, la douche ou les WC, sachant que 3% seulement sont privés de deux ou trois de ces éléments.
  • La France a su gérer de façon convenable des vagues successives d’immigration grâce à un dynamisme de la construction incontestable au cours de Trente glorieuses.

LA QUESTION CRUCIALE DE L’OFFRE

Il est incontestable aujourd’hui que ce qu’on appelle la crise du logement, c’est-à-dire un déséquilibre très fort entre l’offre et la demande, entraînant notamment une inflation des prix de location et de vente, et a pour cause l’insuffisance du parc construit. Ce décalage provient d’une sous-estimation massive des besoins par l’INSEE au cours des dix dernières années, ayant entraîné un retard cumulé de construction d’un million de logements.

L’INSEE a tablé sur des besoins à hauteur de 300 000 logements par an alors qu’ils étaient d’au moins 400 000 au cours de la décennie écoulée. La mauvaise estimation n’a d’ailleurs pas été corrigée puisque pour la période 2005-2010 l’administration statistique et nationale a estimé les besoins à hauteur de 295 000 par an alors qu’ils sont de 500 000. Des travaux universitaires récents, cohérents avec les constats de bon sens dressés par les acteurs du logement, ont permis de s’apercevoir de l’erreur, d’ailleurs reconnue par l’INSEE.

Cette erreur provient de la méconnaissance de plusieurs phénomènes, qu’il n’était peut-être pas facile de mesurer : la vigueur de la natalité et le vieillissement de la population, l’importance de l’immigration, la décohabitation et l’éclatement des ménages, l’engouement pour les résidences secondaires et le besoin de logements nouveaux pour remplacer les destructions de logements obsolètes ou encore les changements d’usage de logements en bureaux.

Attardons-nous sur deux mutations majeures de la société française, qui n’ont pas été anticipées par l’INSEE, le vieillissement de la population et l’instabilité familiale :

a) Le sujet crucial du rallongement de la durée de la vie :

  • Les plus de 60 ans qui constituaient 17% de la population en 1970, en constitueront 30% en 2030.
  • L’espérance de vie s’accroît d’un an tous les quatre ans.
  • L’espérance de vie à la retraite, qui était de 13 ans an 1965, est de 26 ans aujourd’hui … malgré le recul de l’âge de la retraite.
  • Ce vieillissement emporte plusieurs conséquences : plus de ménages, plus de ménages monopersonnels, une sous-occupation des logements, une mobilité résidentielle réduite (qui est insupportable dans le logement HLM).
  • Lorsque la mobilité existe, s’agissant des personnes du troisième âge, elle a en outre l’effet d’accentuer les tensions du marché : la migration se fait vers des régions vieillissantes et attrayantes en termes de qualité de vie et d’ensoleillement qui sont déjà des marchés spéculatifs à forte tension foncière et immobilière.

b) La question essentielle de l’instabilité familiale :

  • Le déclin du mariage est considérable avec un taux de nuptialité de 7,3 pour mille en 1954 devenu 4,5 pour mille en 2004.
  • Ce déclin n’est pas compensé par l’union libre ou le concubinage.
  • La montée des divorces est impressionnante : en 1965, 9% seulement des mariages de l’année se soldaient par une séparation ; ce taux est de 45% aujourd’hui pour la France entière et de près de 55% en région parisienne.
  • Ces éléments ont considérablement augmenté les besoins en locatif, les personnes séparées n’étant plus candidates à l’accession à la propriété pour des raisons de trop faible solvabilité.
  • Les conditions de vie se dégradent pour les personnes concernées qui en viennent à habiter des logements trop petits.
  • Le phénomène des familles recomposées entraîne aussi des difficultés : les grands et très grands logements, pouvant accueillir des enfants en nombre, font défaut.
  • Les ménages constitués d’une personne représentaient 20% du total en 1968, il représente 35% aujourd’hui.

LE PARI PERDU DE LA MIXITE SOCIALE

La cohabitation des classes sociales au sein d’un même espace urbain est un authentique idéal républicain. Force est de constater qu’il y a plutôt dans notre pays aujourd’hui une aspiration à l’entre-soi qui résulte en particulier une inspiration à la sécurité – l’altérité étant sentie comme une menace.

  • Cette évolution explique le succès du concept de résidence fermée développé par plusieurs promoteurs, fondée sur l’hyper-sécurisation de l’espace et sur le clôturage.
  • Ce sont surtout les classes moyennes, c’est-à-dire 90% de la population, qui manifestent ces attentes, dans la mesure où le logement est un marqueur social plus important pour elles que pour les autres classes.
  • Les résidences troisième âge elles-mêmes témoignent parfois de cette fermeture sociale, sur le mode des Gated communities américaines.
  • Ce qui finit par prévaloir est le « NIMBY » (not in my backyard).
  • On assiste à une gentrification et un embourgeoisement des quartiers anciens de nos villes. Le cas de Paris est caricatural avec 66% d’ouvriers et employés en 1954 qui ne sont plus que 30% aujourd’hui.
  • On assiste aussi à une tendance au desserrement urbain et à la dédensification qui se fait au détriment des classes moins favorisées.
  • Dans le même temps ces populations en viennent à constituer de véritables ghettos.
  • Ces réalités notamment ont rendu indispensable la rénovation urbaine dont la mission est aujourd’hui confiée à une agence publique, l’ANRU, dont l’efficacité vient d’être saluée par un rapport parlementaire

UN PARCOURS RESIDENTIEL ENREILLE

L’idéal de l’ascenseur social par l’emploi et le logement n’est plus non plus d’actualité.

  • Les demandeurs de logements HLM sont en augmentation forte. Ils étaient 3% des ménages en 1984, ils sont près de 5% aujourd’hui en France, et même près de 8% en Ile-de-France.
  • A Paris, il y a 100 000 demandeurs, entraînant 7 ans d’attente en moyenne.
  • Le taux de mobilité du parc social est pathologiquement faible : inférieur à 10% pour la France entière, il est de 4% à Paris contre respectivement 30% et 25% pour le parc privé.
  • L’accès au locatif privé est de plus en plus difficile, avec un écart qui s’est creusé entre les loyers du parc social et ceux du parc privé.
  • Les loyers privés sont de 45% plus chers que ceux du public, et cette différence s’est accentuée de 40% en 15 ans.
  • Le taux d’effort est passé de 10% en 1960 à 20% aujourd’hui.
  • L’accession à la propriété s’est également compliquée avec l’inexorable montée en gamme des accédants la propriété.
  • Les ouvriers et employés constituent 30% des accédants aujourd’hui contre 40% en 1999.
  • Les cadres, 35% aujourd’hui contre 20% en 1999.
  • La quotité de crédit dans les opérations d’achat de résidences principales est passée de 50% en 1999 à près de 70% aujourd’hui.
  • La durée moyenne des crédits, qui était de 16 ans en 2002, est de 22 ans en 2006.
  • Les crédits au-delà de 20 ans constituent désormais les deux tiers des crédits consentis à l’accession à la propriété, les crédits de plus de 30 ans en constituant 10%.

LE LOGEMENT FACTEUR DE L’EXCLUSION

Le sujet étant de vive actualité, on ne rappellera que quelques chiffres :

  • Il y a en France 5,5 millions de mal logés souffrant de l’inconfort et le surpeuplement de leur logement.
  • Un million de personnes résident dans des logements insalubres.
  • 700 000 personnes restent aux portes du logement, c’est-à-dire ne parviennent pas à trouver une solution de logement décente.
  • 700 000 personnes vivent dans des copropriétés dégradées.
  • La mobilisation du moment, qui a conduit à tracer les contours d’un droit au logement opposable, pour spectaculaire qu’elle soit n’est que l’aboutissement d’une action publique qui s’est renforcée depuis 10 ans.
  • On évoquera en particulier la loi du 14 novembre 1996, instaurant un pacte de relance de la politique de la ville et définissant en particulier trois niveaux d’intervention : les zones urbaines sensibles (ZUS) au nombre de 751, les zones de revitalisation urbaine (ZRU) au nombre de 410 et les zones franches urbaines (ZFU) au nombre de 44.
  • Il faut aussi évoquer la modernisation intervenue en 2002 du concept de maisons relais, logements dédiés aux individus en situation très difficile et ayant besoin de resocialisation par le logement. A un rythme certes insuffisant, ces maisons relais n’ont cessé de se multiplier ces dernières années dans les grands centres urbains.

EN CONCLUSION…

La question du logement en France a deux caractéristiques, que révèlent les grandes problématiques qui viennent d’être citées : la complexité et une temporalité lente. Complexité parce qu’on voit bien que le logement irradie dans de nombreux champs de l’économie et du social, temporalité lente, parce que le logement évolue en phase avec la société et que les évolutions urbaines obéissent à des mouvements difficiles à engager et qui exigent de la patience.

Or le logement est traditionnellement un secteur très administré, c’est-à-dire très dépendant de la décision publique … Pourtant, ses deux caractéristiques fondamentales l’éloignent de la logique politique, qui tend souvent à simplifier les problèmes et à vouloir leur apporter des réponses instantanées, sans souci de la continuité.

Ainsi, après la satisfaction de voir le logement inscrit au fronton de la réflexion politique du moment, on est fondé à être déçu lorsque le sujet est caricaturé et traité dans l’immédiateté de l’instant.

Au plan politique, pour répondre aux enjeux ou aux problématiques considérables du logement en France on est aujourd’hui en droit d’attendre une solidarité qui dépasse les querelles partisanes et une sorte de responsabilité collective et historique, au-delà de la durée d’un mandat présidentiel ou d’une législature.

Henry BUZY-CAZAUX, 42 ans, ESSEC, agrégation de philosophie, a débuté sa carrière comme enseignant avant de devenir un spécialiste des questions d’illettrisme comme chargé de mission au sein du Groupe Permanent de Lutte contre l’Illettrisme.

Il a été ensuite le proche conseiller de François BAYROU puis de Pierre MEHAIGNERIE.

Depuis 1991, il exerce dans le secteur de l’habitat et de l’immobilier. Il a été successivement délégué général de la Fédération Nationale de l’Immobilier, directeur délégué du Crédit Immobilier de France et directeur général adjoint du Groupe FONCIA.

Il est aujourd’hui Vice-président du Groupe TAGERIM, administrateur de biens et promoteur national.

Il a siégé dans la plupart des instances nationales consultatives sur le logement (Conseil National de l’Habitat, Commission Nationale de Concertation des Rapports Locatifs, Commission des Comptes du Logement, Commission Nationale de l’Information Statistique, Observatoire National des Marchés de l’Immobilier, …). Il anime aujourd’hui le groupe d’experts sur le logement constitué à la demande de Nicolas SARKOZY, Président de l’UMP. Il apporte en outre de fréquentes contributions aux pouvoirs publics pour éclairer leurs décisions en matière de politique du logement.